Poursuivons notre périple en compagnie des ingénieurs de Maserati !
En catégorie "Sport", Giulio Alfieri développa dans la même période que l'épopée 250 F (de 1955 à 1958) les barquettes S, extrêmement compétitives. Ci-dessous la 300 S (6 cylindres en ligne, 3 litres) avec Stirling Moss, toujours en casque blanc, au volant :
La 300 S, en 1955, fut l’aînée de la noble famille des barquettes Maserati « S » et on peut la considérer comme la version route de la 250 F naissante (1954), mais réalésée à 3 litres. Le règlement aurait bien autorisé 3.5 litres en catégorie « Sport » mais il était strictement impossible de faire évoluer le bloc de la 250 F au-delà de 3 litres. Qu’à cela ne tienne, Giulio Alfieri poussa le 6 cylindres en ligne (2 ACT, 2 soupapes par cylindre, double allumage, refroidissement individualisé des cylindres) de la 300 S jusqu'à 260 cv qui lançaient les 780 kg de cette barquette à carrosserie aluminium à 280 km/h.
Sur la photo ci-dessous, on reconnait le moteur de la 250 F simplement réalésé à 3 litres. Le double échappement superposé sur le flanc gauche caractérise les 300 S comme les A6GCS/53 qu'elles remplaçaient :
Ci-dessus une version précoce "nez court" de la 300 S. Comme sur la 250 F, la boîte de vitesse était accolée au différentiel arrière, assurant une très bonne répartition des masses. On reconnait ci-dessous le châssis tubulaire et les lames semi-elliptiques transversales communes avec la 250 F. Le grand réservoir à droite est celui d'essence, le petit à gauche celui d'huile (rendu nécessaire par le carter sec) :
Cette 300 S fut auréolée de gloire avec ses victoires aux Grands Prix de Pau et de Bari 1955 (Jean Behra), au Grand Prix de Supercortemaggiore 1955 (Jean Behra, Luigi Musso), au Grand Prix du Venezuela 1955 (Juan Manuel Fangio), aux 1000 kilomètres de Buenos Aires 1956 (Stirling Moss, Carlos Menditéguy), aux tours de Sicile 1956 et 1957 (Piero Taruffi), aux 1000 kilomètres du Nürburging 1956 avec un équipage de folie (Stirling Moss, Jean Behra, Piero Taruffi, Harry Shell) aux 5 heures de Messine 1956 (Franco Bordoni) sans parler d’une ribambelle de places d’honneurs …
Ci-dessous Stirling Moss mène à la victoire la 300 S au 1000 km du Nürburgring 1956 :
Les autres barquettes S ne déméritèrent pas ( Nürburgring 1955 pour Jean Behra sur 150 S, tour de Sicile 1957 avec Giorgio Scarlati et Grand Prix de Pergusa 1959 avec Nino Vaccarella pour la 200 S, 12 h de Sebring 1957 avec Juan Manuel Fangio et Jean Behra pour la 450 S).
Ci-dessous, la 150 S se caractérise par ses ailes arrière proéminentes :
Giulio Alfieri tenait à ce que l'équilibre de la 150 S soit parfait. Ainsi, il plaça la boite de vitesses contre le différentiel arrière, comme pour sa grande sœur 300 S. Le 4 cylindres de la 150 S (140 cv) conservait le double allumage et les 2 arbres à cames en tête mais n'avait pas de refroidissement individualisé des cylindres, la brièveté du moteur rendant cette précaution moins utile (aucun cylindre n'étant très éloigné de l'arrivée par l'avant du bloc de l'eau refroidie) :
Les 200 S (photo ci-dessous) ont une finesse absolument extraordinaire. Ce sont sont peut-être les barquettes S les plus pures :
Mais la plupart des 200 S reçurent la boite de vitesse accolée au moteur (avec un équilibre en course un peu inférieur à celui des 300 S, 150 S, 450 S) :
Sur la 200 S, le moteur 4 cylindres double allumage de la 150 S (sans refroidissement individualisé) avait été poussé par Giulio Alfieri à 2 litres et délivrait 190 cv à 7200 tr/mn ce qui, avec un poids de 660 kg, autorisait 260 km/h.
Je vais maintenant vous parler de l'histoire du V8 Maserati qui illustre à merveille le fonctionnement de l'usine du Trident dans les années cinquante. Tout commença en 1956 par la commande spéciale de 2 moteurs Maserati V8 de 4.2 litres, commande émanant d'un italo-américano-californien du nom de Tony Parravano qui souhaitait les monter dans des châssis Kurtis Kraft en vue des 500 miles d'Indianapolis.
Giulio Alfieri et son acolyte Valerio Colotti ressortirent d'un placard le projet d'un V8 à 90 degrés quatre arbres à cames en tête, initié par Gioacchino Colombo et Vittorio Bellentani dès 1953, mais qui avait été abandonné après la catastrophe survenue aux 24 heures du Mans 1955. Ce furent là les deux tout premiers moteurs V8 Maserati d'après guerre, mis au point, réglés puis rodés dans une caisse de 300 S, enfin expédiés depuis Modène aux USA et payés 15 000 dollars pièce, soit pour chacun plus que le prix d'une Ferrari de course complète neuve ! Giulio Alfieri obtint l'accord d’Omer Orsi afin de profiter de cette commande et de ce tout nouveau moteur poussé à 4.5 litres pour développer une barquette Sport en vue de la saison 1957. Ce fut la redoutable 450 S.
Voici ce mythique moteur V8, un véritable chef d'oeuvre mécanique :
Ce moteur très compact de 4.5 litres, 4 arbres à cames en tête, 4 carburateurs Weber 45, double allumage, refroidissement individualisé des cylindres, délivrait 400 cv et propulsait la 450 S à plus de 300 km /h ce qui en faisait la plus rapide des voitures de course des années 50. Ci-dessous vu par l'arrière (pas de boite de vitesses derrière l'embrayage : elle est accolée au différentiel arrière de la 450 S) :
Bien né pour la course, ce V8 absolument mythique du Maseratisme aura une carrière "civile" extrêmement longue, équipant (dans ses évolutions 5 ou 4.2 ou 4.7 ou 4.9 litres) les Maserati de route jusqu'en 1990 (5000 GT, Quattroporte I, Mexico, Ghibli I, Indy, Bora, Quattroporte II Frua, Khamsin, Kyalami, Quattroporte III) !
Ci-dessous Juan Manuel Fangio, en équipage avec Jean Behra, remporte les 12 H de Sebring 1957 avec la Maserati 450 S :
Notez les lunettes de rechange au cou de Fangio (en cas de verres brisés par les gravillons projetés par les voitures concurrentes) ! La 450 S se reconnait à ses échappements droits et gauche sortant par les extracteurs d'air. Pour sa première année de course, la Maserati 450 S fut vice championne du monde en catégorie Sport en 1957 (derrière Ferrari) alors que la 250 F était championne du monde de Formule 1 (devant Ferrari) ! Giulio Alfieri, bonifiant au maximum l'héritage technique laissé fin 1953 par Gioacchino Colombo, participa grandement à cette formidable compétitivité des Maserati des années 50.
Jusqu'en 1958, on peut dire que Maserati était au coude à coude avec sa voisine Ferrari (Maranello est à 15 km de Modène !), voire même souvent légèrement devant Ferrari, aussi bien en catégorie Sport qu'en Formule 1.
Puis le métier de l’usine Maserati changea alors. Le fabricant quasi-exclusif de voitures de course qui commettait quelques "stradale" devint en 1958, et avec la 3500 GT, un constructeur de véhicules de tourisme luxueux et sportifs qui faisait encore quelques voitures de course. C'est Giulio Alfieri qui fit prendre ce virage industriel à Maserati.
Ci-dessous le prototype 3500 GT carrossé par Touring, présenté au salon de Genève 1957 et surnommé "la dame blanche" :
Giulio Alfieri créa en 1957 la 3500 GT qui connut un succès considérable malgré un prix astronomique (2225 exemplaires de 1957 à 1964 alors que les Maserati routières A6 1500 GT, A6G et A6G54 réunies ne totalisaient ensemble que 137 exemplaires de 1947 à 1957 !).
Maserati, qui avait produit jusque-là presque exclusivement des voitures de course et qui venait d’être sacrée championne du monde de Formule 1, commercialisait fin 1957 un sublime coupé routier à carrosserie Touring dont le moteur ne différait guère de celui de Formule 1 si ce n’est par la cylindrée augmentée : bingo ! Vous imaginez l’argument marketing, vous pouviez acheter en 1958 pour la route la F1 championne du monde 1957 ! Habilement, Giulio Alfieri avait laissé supposer que la 3500 GT était l’évolution routière de la 250 F. Sur un grand nombre de points c’était assez vrai avec, dans les deux cas, six cylindres en ligne, deux arbres à cames en tête, double allumage, admission trois carburateurs à droite, échappement à gauche. Le bloc 2.5 litres 270 cv de la 250 F n’avait cependant pas les mêmes cotes que le 3.5 litres 220 cv de la 3500 GT, historiquement plus récent. Mais peu importait ce détail tant les gènes "course" habitaient puissamment le moteur du nouveau coupé emporté avec aisance, malgré ses 1300 kg, jusqu’à 230 km/h, ce qui constituait une performance de premier ordre à l’époque.
La 3500 GT :
Dans les années 90, quand on demandait à Giulio Alfieri quelle avait été sa plus belle satisfaction professionnelle : la réussite de la 250 F ? L’exploit technique de la Birdcage ? Eh bien non. Le grand ingénieur répondait invariablement que le succès commercial de celle qu’il appelait toujours la Tipo 101, la 3500 GT, fut sa plus grande joie : « à certains moments, nous sommes tous de grands sentimentaux ; voir l’usine bien fonctionner et l’objet que vous avez conçu et construit se vendre si bien partout dans le monde est un moment de pur plaisir ! ».
Giulio Alfieri savait que Maserati misait gros sur cette voiture, ni plus ni moins que sa survie en fait. Il fit tout pour qu’elle fût un succès.
Ci-dessus le six cylindres en ligne Maserati de 3.5 litres, avec ses deux bougies et deux soupapes par cylindre, déjà bien testé en course sur la 350 S de Stirling Moss, donnait 220 cv en version civile grâce à ses nouveaux ACT issus de la compétition et malgré le retour à la distribution par chaîne et au carter désormais humide.
Le châssis de la 3500 GT était bien sûr tubulaire et Alfieri décida, pour augmenter la fiabilité de la 3500 GT, de faire appel à un grand nombre de composants longuement éprouvés et de marques reconnues. Ainsi choisit-il attentivement un embrayage anglais Berg and Beck, une boîte 4 vitesses ZF allemande (accolée au moteur), un arbre de transmission Hardy Spicer et un pont arrière anglais Salisbury. La direction à bille venait de chez Burman et la suspension avant de chez Alford et Alder (la même que sur les Jaguar). Girling fournissait les amortisseurs et les freins à tambour ailetés, Borrani les jantes.
Giulio Alfieri avait vraiment fait son marché dans ce qui se faisait de mieux à l’époque. Mais gérer l'assemblage à relativement grande échelle (environ 10 voitures par semaine) de ce puzzle européen demandait une grande attention quant à la régularité des approvisionnements auprès de tous ces fournisseurs.
Omer Orsi et Giulio Alfieri à l'usine via Ciro Menotti sous le capot d'une 3500 GT:
La sublime version découvrable de la 3500 GT, le spider "Vignale" sorti en 1960, fut dessiné par Giovanni Michelotti pour Vignale :